EXPOSE DE DESSIN D'ART
Sujet  : LA CRYPTE DE SAINT-GIRONS (40700 Hagetmau)


INTRODUCTION

Crypte : Chapelle, généralement souterraine, d'une église, où l'on plaçait le corps ou les reliques des martyrs, des saints.
A quelques 15 km au Sud de Saint-Sever s'élevait encore au début du siècle l'église Saint-Girons d'Hagetmau qui appartenait à la veille de la Révolution à un chapitre de chanoines. Il n'en subsiste plus guère aujourd'hui que la crypte établie sous le sanctuaire; elle offre des éléments de décor étroitements apparentés à ceux de la grande abbatiale ( église de l'abbaye ) voisine, mais son architecture, plus tardive et très remaniée, offre moins d'intérêt.

HISTOIRE

C'est entre les années 361 et 363 que Sever, Girons, Justin, Clair, Polycarpe, Jean, et Babile se mirent en route avec la bénédiction du Pape Sibere pour évangéliser l'Aquitaine.
Les premières mentions certaines de l'existence d'une communauté à Saint-Girons ne sont pas antérieures au début du XIIème siècle.
C'est en effet en 1116 et 1117 que le nom de Lescar; aucun texte, aucun vestige ne permet d'affirmer avant cette date l'existence d'une église ou d'un monastère en ce lieu. Pourtant, l'émulation qui dut sans aucun doute régner entre Saint-Girons et l'abbaye de Saint-Sever a poussé les deux monastères à rivaliser ausssi par l'éclat de leurs origines : la légende faisait de Saint Girons un des compagons de Saint Sever, mais il n'apparaissait dans les textes anciens qu'avec le titre de "confesseur" ( saint qui n'est ni apôtre ni martyr ); la tradition locale lui a donné la dignité d'êveque et la palme de martyr. De la même manière, aux circonstances miraculeuses de la restauration de Saint-Sever par Guillaume Sanche, on a bientôt opposé une fondation d'Hagetmau par Charlemagne lui-même, lors de son expédition en Espagne.
Malgré d'aussi prestigieux titres de gloire, l'abbaye ne semble pas être parvenue à étendre son rayonnement au-delà d'une aire assez restreinte : lorsqu'en 1330, Guillaume Loup son abbé s'entendit avec l'éveque d'Aire, Garcia, pour partager à l'amiable les revenus de leurs possessions communes, les douzes localités concernées étaient toutes situées dans un rayon d'une quinzaine de kilomètres à peine autours du monastère. C'est à cette époque que le monastère fut sécularisé.
Dès 1840, la crypte fut inscrite sur la liste des monuments historiques, mais l'église en a toujours été exclue. Durant toute la fin du siècle, les projets de restauration se succédèrent avec une grande régularité; ils étaient accompagnés de descriptions chaleureuses de l'édifice et d'innombrables suppliques d'autorités politiques ou de sommités archéologiques, tant nationales que locales. Toutes ces démarches furent vaines. En 1903, la démolition de l'église supérieure fut entreprise sans qu'aucun autre document que deux photographies en fût conservé. La plupart des matériaux furent réutilisés dans la construction d'un hospice; beaucoup d'autres furent volés. Les deux chapiteaux ( éléments élargis qui forment le sommet d'une colonne, d'un pilier et qui est constitué d'une échine ou d'une corbeille, surmontée d'un abaque ou tailloir ) qui subsitaient à l'entrée du transept ( vaisseau transversal qui sépare le coeur de la nef et forme les bras de la croix, dans une église en croix Latine ) disparurent. On restaura la crypte dans le goût du temps.

L'ARCHITECTURE

La crypte a subi au cours des siècles des modifications radicales : édifiée pour compenser une importante dénivellation, elle est implantée sur un sol instable, en forte pente et sans cesse miné par le ruisseau qui coule en contrebas. L'abside ( extrémité, en demi-cercle ou polygonale, du choeur d'une église ) romane des origines, probablement semi-circulaire, a dû être remplacée au cours de la période gothique par un chevet ( partie postérieure, externe, du choeur de l'église ) à cinq pans renforcé par d'énormes contreforts. Le voûtement primitif a alors laissé la place à des voûtes d'ogives que d'autres mouvements du terrain ont à leur tour disloquées. Lors de la démolition de l'église supérieure au début du siècle, on dut les refaire et l'on préfèra alors les remplacer par des voûtes d'arêtes plus conformes au style général de l'édifice. Ces voûtes retombent sur douze chapiteaux dont huit sont engagés dans les murs et quatre portés par des colonnes isolées disposées en rectangle au centre; la crypte est ainsi divisée en trois nefs de trois travées chacune. Les colonnes des chapiteaux engagés sont en pierre; leurs bases reposent sur une banquette moulurée qui court sur tout le pourtour. Les colonnes isolées sont disposées sur un soubassement dans lequel on a voulu voir le socle du tombeau et de l'autel de saint Girons. Faites de marbre de diverses couleurs, elles proviennent sans aucun doute d'un édifice antique ( une villa romaine ). Comme leur longueur ne répondait pas à leur destination, on a raccourci trois d'entre elles et ajouté à la quatrième un fût de pierre. Les douze bases offrent une certaine diversité, mais la plupart ont deux tores fort inégaux et des boules aux angles de la plinthe. Tous les chapiteaux comportent des tailloirs ( couronnements moulurés des corps des chapiteaux, aussi appelés abaques ), à l'exception de ceux qui ont été assez maladroitement remployés sous les arcs par lesquels les deux escaliers d'accès débouchent sur la crypte. Une lumière parcimonieuse pénètre par d'étroites fenêtres pour la plupart refaites; trois d'entre elles s'ouvrent à l'Ouest; elles devaient permettre aux pélerins de vénérer les reliques du saint sans descendre à l'intérieur. On notera enfin la présence d'un enfeu ( niche funéraire à fond plat ), à l'Est sous la fenêtre d'axe; il contenait au siècle dernier un petit cercueil en pierre rempli d'ossements.
L'examen archéologique précis de cet ensemble n'est pas facile, car les restaurateurs ont généralement remployé des pierres d'appareil anciennes qui portent encore les traces du layage (dressage des pierres ) et des marques de tâcherons ( ouvriers ). La reprise visible à l'amorce des pans coupés et la manière dont les chapiteaux sont engagés dans les maçonneries voisines permettent cependant de délimiter assez exactement la réfection de la partie orientale.

LA DECORATION SCULPTEE

Ce petit ensemble de quatorze chapiteaux ( quatre sont classés ), qui offre dans certaines de ses pièces une iconographie assez originale, éclaire en outre assez bien quelques-uns des problèmes posés par l'élaboration et la diffusion de certaines formes de sculptures propres aux régions du Sud-Ouest. Dans le décor d'Hagetmau, on reconnaîtra tout d'abord sans peine la manière de certains des sculpteurs qui ont orné le chevet de Saint-Sever : on voit en particulier sur les deux chapiteaux situés au bas des escaliers et sur un de ceux qui sont engagés dans le mur Ouest les dés très saillants, les volutes aux longues hampes portant des enroulement volumineux en forme de coquille d'escargot, les feuilles nues souplement incurvées ou enroulées à leur extrémité qui étaient apparues dans les absidioles ( chacune des petites chapelles attenantes à l'abside ) Nord de l'abbatiale. On retrouvera aussi sur deux autres corbeilles engagées dans les murs Sud et Ouest des lions souriants passant sur un fond de légères pendeloques et les oiseaux affrontés étreignant un masque de leurs serres, comme dans les absidioles Sud de Saint-Sever.
Mais à côté de ces pièces aux caractères bien reconnaissables, il en est d'autres qui, tout en reprenant des thèmes forts identiques, offrent avec les premières des différences de conception et de traitement. On aperçoit ainsi sur plusieurs chapiteaux des oiseaux en fort relief dont les pattes se joignent très haut au milieu de la face principale : leurs plumes, leurs yeux, leur bec, leur queue, les feuillages qu'ils picorent, les enroulements des volutes sont dessinés tout autrement que sur les oeuvres précédentes. De même, les lions que l'on voit sur le mur Nord diffèrent peu des premiers, mais ils sont entourés d'un type de feuilles totalement ignoré à Saint-Sever alors qu'il est repris plusieurs fois ici, en particulier sur le très beau chapiteau à feuillage d'une des colonnes de marbre. Etant donné la portée assez limitée de la plupart de ces différences, on pourrait croire qu'il s'agit seulement de variantes dues à un sculpteur plus original si on ne retrouvait tous ces caractères dans un groupe d'églises de l'Agenais, à Mézin, Vianne, Saint-Pierre-de-Buzet, et plus tard à Gueyza. On doit donc admettre que les thèmes identiques se sont développés dans les deux régions de manière indépendante, les deux courants s'étant ensuite rencontrés à Hagetmau par un hasard heureux. La disparition de l'église ne permet pas de savoir lequel des deux l'avait emporté; on peut penser toutefois qu'ils ont pu se fondre assez rapidement. On trouve en effet leurs caractères étroitement associés dans les quatre chapiteaux historiés de Saint-Girons, dont trois portent sur les colonnes de marbre disposées au centre de la crypte.
Sur un des chapiteaux, un homme debout à chaque angle dispute à un grand oiseau les fruits ou les grappes qu'il tient dans son bec. Le modelé et les détails assez réalistes des visages, le drapé souple et les plis élégants des vêtements, la finesse avec laquelle sont dessinées les plumes des oiseaux révèlent la maîtrise d'un excellent sculpteur. Un autre chapiteau associe deux scènes bibliques plus faciles à identifier mais dont le lien n'apparaît pas très clairement. Sur une face, on voit le mauvais riche assis avec deux compagnons à une table qui porte plusieurs plats; a leurs pieds, Lazare, nu, est allongé; des chiens penchés sur lui lèchent ses ulcères. Sur la face voisine, la situation des personnages s'est inversée : Lazare se tient debout entre deux anges qui semblent le soutenir; au-dessous, le riche est couché et dans un geste suppliant il montre sa langue dessechée par la soif. C'est encore une représentation du châtiment de l'avarice; péché, qui, avec la luxure, semble avoir préocupé le plus la conscience chrétienne durant toute une partie du Moyen Age.
On a voulu éclairer le sens du dernier chapiteau, qui est engagé dans le mur méridional, par une inscription gravée sur des arcades encadrant les personnages, mais le sculpteur, qui ne comprenait sans doute pas le texte qu'il transcrivait, l'a déformé au point de le rendre à peu près inintelligible. On lit en effet : FEREA QUID CUSTODES / COIRUM SIC CECUNT / HOSTIA PETRO SOLVE / RE ANG S. PETRUM. La scène représente en effet la libération de Saint Pierre : on voit un ange trancher de sa lance les liens qui enserrent l'apôtre enfermé dans une prison que gardent deux soldats armés comme des chevaliers d'un casque, d'une cuirasse, d'un écu pointu et d'une épée. Au-dessus de la scène, un oiseau tient dans son bec un fleuron.
La présence d'un nombre aussi grand de thèmes historiés à Saint-Girons ne doit pas surprendre : ces quatre chapiteaux offrent en effet des parentés trés nettes avec la dernières oeuvres du collatéral Nord de Saint-Sever; ils doivent donc être attribués à une période assez avancée - sans doute la deuxième ou la troisième décennie du XIIème siècle - où les préoccupations purement décoratives des premiers ateliers de l'abbatiale ont cédé le pas au goût pour les "histoires", qui du reste déjà développé dans bien d'autres régions du domaine roman.

LIEUX ACTUELS ET CONCLUSION

Maintenant, 86 ans après la destruction de l'église, un hospice a remplacé l'église. Après avoir été un lieu de culte, la Crypte est désormais un détour touristique, ou un espace de promenade car elle est bien entretenue et du gazon y a poussé.
J'ai été surpris de voir qu'après tant d'années, on comprend les gens qui ont contruit et décoré ces édifices, car jusqu'içi je ne l'avais pas vraiment réalisé. Ensuite c'est beaucoup plus intéressant de se promener dans la crypte en se disant que des gens y étaient il y a plusieurs siècles.

SOURCES DE DOCUMENTATION

LA GASCOGNE ROMANE d'après l'Abbé CABANOT
MEMOGRAPHIE de SAINT-GIRONS de l'Abbé LOUIS MEYRANX
LES HUGUENOTS dans les LANDES de A. PEYRANX
Et la Crypte elle-même pour les photographies et les croquis.

DAVID D. 2DGC NOVEMBRE 1989