Pour aimer les autres, il faut pouvoir s'aimer.
Dans notre monde de l'apparence et de la frime, on se soucie beaucoup de l'image qu'on donne et moins de l'idée qu'on se fait de soi même. Et pourtant. Et pourtant, l'image, la façade aussi bien ripolinée soit-elle, participe fort peu de notre identité profonde tandis que l'estime de soi est l'une des dimensions fondamentales de la personnalité. Sur quoi repose « l'estime de soi », cette considération intérieure plus ou moins distinguée, qu'on peut, aussi, appeler « amour-propre ». Sur trois piliers qui sont, selon Christophe André et François Lelord, auteurs de l'essai « l'Estime de soi » : la vision de soi, la confiance en soi et l'amour de soi.
Trois piliers seulement, pour un édifice aussi complexe et soumis à d'aussi fortes turbulences qu'une personnalité, c'est peu. Je parle d'expérience car j'ai eu récemment la preuve qu'un tabouret à trois pieds est une structure de qualité décevante pour dévisser une ampoule suspendue au plafond. Notre personnalité repose sur des bases fragiles, mais il faut faire avec. La vision de soi est l'évaluation, juste ou fausse, que l'on fait de ses qualités et de ses défauts. La confiance en soi est l'aptitude à se sentir capable d'agir de manière adéquate et de faire face aux exigences de la vie. L'amour de soi est la sympathie qu'on éprouve pour soi-même en dépit de ses défauts, de ses limites et même de ses performances. C'est l'élément le plus important, car c'est lui qui peut nous permettre de résister à l'adversité et de nous reconstruire après un échec.
On admet, aujourd'hui, que cet amour de soi dépend en grande partie de l'affection qui nous a été prodiguée par nos proches dans notre enfance, affection qui dépend, elle-même, de l'amour qui leur a été prodigué. C'est dire qu'avant que notre histoire personnelle commence, les jeux sont pratiquement faits. Les spécialistes de la psychologie s'accordent pour assurer qu'il est impossible d'aimer les autres quand on n'éprouve que de la haine ou du mépris pour soi. S'il est trop tard pour les adultes, il est possible d'influencer, de manière positive, le développement affectif de notre descendance. Aimons nos enfants et donnons-leur confiance en eux-mêmes, en leur assurant qu'ils sont beaux et intelligents, même si c'est totalement invraisemblable.
Ce qui compte, c'est qu'ils y croient. Vous en ferez des bêtes à concours qui parviendront à rentrer à l'ENA et qui finiront dans la peau de technocrates prétentieux. C'est pénible, je vous l'accorde, mais c'est moins grave que d'en faire des individus amers et agressifs. N'oubliez jamais que, si Hitler avait réussi son concours d'entrée aux Beaux-Arts, la face du monde en eût été changée.
ANNE POURRILLOU-JOURNIAC
Article paru dans le journal Sud Ouest du 06/06/199
A lire: « l'Estime de soi », Christophe André François
Lelord, Editions Odile Jacob, 270 pages, 130 francs.